Page:Delarue-Mardrus - Rédalga, 1931.djvu/123

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
123
rédalga

le dîner, c’était l’heure du sentiment. Encore un coup, il préféra se taire. Toute conversation entre eux prenait les allures d’un numéro de cirque, et trop de poésie, ce soir, les entourait. Il ne fallait pas déranger des charmes.

Ils se dirigèrent lentement du côté le plus nocturne. Jude passait sa paume sur la main et le bras qu’il tenait.

Le silence dans lequel ils entraient était étonnant. Un frisson tomba des arbres de l’allée. Jude renversa sur son épaule la tête de Rédalga. Ce fut, frémissant, leur premier baiser. Il s’y mêlait un goût de fumée et de cognac, mais ils ne purent s’en apercevoir, ayant fumé et bu tous les deux.

Le chien, devinant dans l’ombre, aboya. Cette déchirure du silence fit cesser l’enchantement. Ils reprirent leur marche de fantômes, et sortirent à l’autre bout de l’allée. Elle était tournante et venait retrouver la pelouse.

« Cette nuit ! Cette nuit !… » pensait Harlingues.

Ils rentrèrent à la maison. Les gardiens demandèrent s’il ne manquait rien, car ils allaient se coucher. Leur logis s’élevait à deux pas, au-dessus du garage.

— Il y a des carafes et des verres dans les chambres, dit la femme, et, pour l’eau chaude, le chauffe-bain électrique commande partout.

Au moment de dire bonsoir :

— À quelle heure le petit déjeuner, demain ?

— Nous sonnerons, répondit Harlingues.

Et sa voix s’étrangla sur ces simples mots, car ils résonnaient comme une parole conjugale.

Seuls dans la maison !

Il mit plus d’une heure à finir de vider sa malle, à faire sa toilette. Après les rumeurs du bain, il n’entendait plus rien du côté de Mrs Backeray. S’était-elle simplement couchée après avoir tourné sa clé ?