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rédalga

par ce revirement, par cette étreinte trop douce, Jude Harlingues se mit à sangloter.

Parmi toutes les choses murmurées dans ses cheveux, peut-être lui avait-elle fait des promesses solennelles, Maintenant passé ce grand orage, ils étaient assis au salon, penchés tous deux sur un livre. C’était l’un des volumes de vers de Mary Backeray. Son amant avait voulu voir et toucher les trois recueils qu’il ne pourrait pas lire.

« Voilà, se répétait-il en feuilletant avec elle. C’est sa pensée, c’est son âme ; et, pour moi, ce n’est que de l’hébreu. »

— Jioude, dit-elle, vous statioues ; mais moâ ça !

Son doigt frappait les pages, impérieusement. Il admira ce grand orgueil d’artiste qu’il constatait pour la première fois.

Il répondit :

— Oui, j’ai mes statues, et vous, vous avez vos livres, mais mes statues vous pouvez les voir, et moi je ne peux pas lire vos livres.

Elle essaya de comprendre, il essaya de traduire, mais leurs efforts n’aboutirent à rien. Ils secouèrent la tête ensemble, désolés. Rédalga se leva. La privation de son alcool ordinaire la rendait nerveuse. Elle alla s’asseoir au piano, y chercha des fragments de musique qui s’interrompaient aussitôt.

— Oh ! vous savez jouer !… J’aime tant le piano !

À deux pas d’elle il s’était assis pour l’écouter. Un petit bout de mélodie qu’elle retrouva lui serra le cœur. La musique met ceux qui l’aiment en état de grâce, rien que pour quelques notes fugitives.

— Jouez encore.

Mais elle referma le piano. Désœuvrée, elle allongea