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rédalga

sur le temps. Chaque jour écoulé la menait d’un pas sûr vers la délivrance. Son visage de condamnée ne parvenait pas à calmer la bonne humeur de l’artiste. Il savait en bonne voie l’œuvre entreprise, nonobstant les apparences. Il était sûr de la réussir exactement comme il avait réussi son moulage, malgré toutes les difficultés.

Le beau temps se maintenait, dont les amants continuaient à ne profiter guère. Il fallut, pour les arracher de leur garage laborieux, l’arrivée de la fontaine de plâtre, apportée par Samadel et Krikri.

— Le ploc de marbre sera là demain ! dit le praticien. L’endrepôt me l’a bromis. On fa poufoir trafailler !

Et, jusqu’au soir, les trois amis furent occupés à préparer, dans le jardin, les assises de ce bloc que Jude avait décidé de tailler sur place, seule condition favorable, puisque l’air, la lumière, l’ombre, font partie intégrante d’une œuvre sculpturale.

Perdue au milieu de leur français animé, Rédalga, plus exilée que jamais, se tenait sans rien dire au soleil. Harlingues oubliait de lui donner son goûter restrictif. Il s’en aperçut à la longue avec un peu de honte.

— Allons à l’atelier prendre un verre de porto !… dit-il.

Ils trinquèrent tous ensemble, gentiment. Les cigarettes s’allumèrent.

— Maintenant, il vaut redourner drafailler !… remarqua Krikri. Nous n’aurons bas vini afant la nuit. Nous defrons même refenir temain madin.

Invitée par signes à ne plus s’occuper d’eux, Rédalga déchaîna le chien. Ils l’aperçurent de loin tournant dans les allées, puis ramant sur la pièce d’eau, parmi les aboiements désespérés de Flic resté sur la rive. La captive, pour la première fois depuis dix jours, retrouvait un semblant de liberté.