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il alla trouver le jardinier qui bêchait dans un coin. Il avait prié Léontine de l’accompagner. Étonnée, elle le suivit.

— Vous avez entraîné madame, dit-il sans préambule, qui, malheureusement, est, comme beaucoup d’Anglaises, portée sur la boisson. (Écoutez bien ça, Léontine !) Vous lui avez offert à boire dans la cave où vous volez le comte de Vasconcellos. (Il le sait, il me l’a dit.) Moi, je suis venu ici justement pour guérir madame de ses mauvaises habitudes. (Taisez-vous, Léontine, vous parlerez après.) Et vous, voilà quinze jours que vous défaites derrière moi tout mon ouvrage. Je ne veux pas vous dénoncer à votre maître, mais je vais m’en aller d’ici, vous entendez, et il finira bien par deviner pourquoi. Vous pouvez commander la voiture pour ce soir. Nous allons faire nos malles cet après-midi.

— Les malles ?… cria Léontine qui suffoquait. Monsieur s’en irait en laissant en plan la fontaine de M. le comte ?… Monsieur ferait ça à cause d’un cochon comme Gilbert !… Ah ! Monsieur est trop bon de ne pas le dénoncer ! Monsieur ne sait pas ce que c’est que cet homme-là, et ce qu’il m’a fait souffrir depuis quarante-cinq ans qu’on est mariés ! Je te l’ai toujours dit que nous finirions sur la paille à cause de ton vice ! Nous voilà chassés, à c’t heure… (Elle sanglote.) Oh ! que monsieur ait pitié de nous ! Pas de nous, de moi !… Ainsi, il a fallu qu’il me fasse encore cette histoire-là ! Mais nous allons en reparler tout à l’heure ensemble, n’aie pas peur ! Oh ! que monsieur reste !… Monsieur peut être tranquille, maintenant ! C’est moi qui aurai la clé de la cave, c’est moi qui surveillerai Gilbert, et je jure à monsieur que rien n’arrivera plus, à présent que je suis prévenue. Monsieur, monsieur, je supplie monsieur ! S’il faut changer de place à l’âge que j’ai, j’en mourrai, qu’on est si heureux chez M. le comte, depuis plus de dix ans qu’on le sert ! Oh ! que monsieur ne s’en aille pas ! Nous sommes perdus si monsieur s’en va !