Page:Delarue-Mardrus - Rédalga, 1931.djvu/180

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
180
rédalga

Alors il disait à brûle-pourpoint :

Are you divorced ? (Êtes-vous divorcée ?).

Et, fière de son français, Rédalga répondait :

— Oui, je suis.

Le soir qui tombait tôt les ramenait à la maison. Depuis quelque temps ils faisaient du feu dans le salon. La façon dont Mary Backeray tisonnait montrait sa lointaine expérience des cheminées campagnardes où croulent les bûches de la mauvaise saison. Songeuse, la bouche hermétique et les yeux visionnaires, elle s’absorbait à contempler les flammes.

— Travaillons !… réclamait Jude.

Car c’était le seul moment de la journée où il pût ouvrir à son tour la méthode. La séance de prononciation commençait, avec ses gaîtés et ses difficultés. Ou bien, quelquefois, au crépuscule, ils s’en allaient à Paris, faisaient une ou deux courses, restaient même à diner dans quelque modeste restaurant, toujours ravis de rentrer et de reprendre leur vie recluse à Bellevue.

Quand Rédalga fit recouper ses cheveux, quand elle acheta ce chandail et ce cache-nez roux choisis par Jude, il fut surpris de voir avec quelle obstination elle refusait qu’il payât. Il en fut également peiné, peut-être. Cependant cette délicatesse ne lui déplaisait pas, qui rejetait si loin les vols de cigarettes et de vin de la vilaine période.

Ils eussent aimé, les jours qu’ils prenaient le train, aller voir Alvaro dans son hôtel. Mais Alvaro voyageait.

— Tant mieux, après tout !… pensait Harlingues. Quand il reviendra sa fontaine sera finie ou presque. Il aura la surprise de l’ensemble.

Mais un nuage passait alors sur son front. La fontaine terminée, il faudrait quitter Bellevue. Vivre séparés ?… Ce n’était plus possible. Une seule solution s’imposait décidément : épouser Mary Backeray.

— Il n’y a encore qu’Alvaro qui pourra m’arranger ça.