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rédalga

— Tu vas t’enrhumer ! C’est un temps de Toussaint, tu aurais bien mieux fait de rester couchée ! Pourquoi n’as-tu pas mis de chapeau ?

Il l’enveloppa dans son cache-nez roux tout en continuant d’avancer. Ils furent bientôt à la grille.

— Au revoir, ma girl ! À ce soir !

Il souriait en l’embrassant. Il eût voulu dire : « Je vais sans doute m’occuper aussi de notre mariage… » Il ne put.

Good bye !… fit-il simplement.

Good bye !

C’était la première fois qu’ils se séparaient depuis près de quatre mois. Déjà sur la route, il se retourna pour la voir encore. Ses lainages et ses cheveux se confondaient. Un pan de son cache-nez volait dans le même sens que sa crinière. Au vent pluvieux de novembre, elle avait l’air d’une grande feuille d’automne.

De loin, elle le salua gentiment de la main. La route tournait. Il s’arrêta pour agiter son parapluie une seconde, puis continua sa marche, étonné d’être tout seul.

À la descente du train, il sauta dans un autobus pour se rendre à son atelier. Il devait y retrouver, dans un inextricable désordre, des photographies de ses allégories, demandées par un journal belge. Les quelques pas qu’il eut à faire avant d’y arriver, sous une pluie serrée, le ramenèrent brusquement au temps d’avant Rédalga, longue époque pendant laquelle il avait vécu sans savoir qu’il était privé de cœur.

Aimer, quelle destinée, la seule qui vaille d’être au monde ! Tout ce qu’il ferait dorénavant, le moindre geste de sa vie, la moindre démarche, les statues qu’il sculpterait, l’argent qu’il gagnerait, ce serait en songeant à Rédalga. Une vague de courage joyeux l’envahit à cette pensée. La rendre heureuse, la voir être heureuse ; plus tard, quand ils pourraient se parler, connaître tout ce qu’il ignorait d’elle, se faire connaître à elle ; être toujours entouré de sa présence