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rédalga

Sur le guéridon, restés à leur place de tous les jours, il y avait les trois livres de Mary Backeray.

Harlingues allongea la main. Ils avaient toujours été pour lui la chose hermétique et sacrée, le mystère d’une pensée dans laquelle il ne lui était pas permis de pénétrer.

Pour les feuilleter une fois encore, il se rassit.

— Il faudra que je trouve quelqu’un pour me les traduire, à la fin ! Même déformés par la prose, ces vers m’apprendraient sur elle tant de choses que je ne sais pas ! Alvaro n’a pas le temps de faire ce travail. Du reste, je n’oserais pas le lui demander.

Rêveusement, il prit le premier volume qui lui tomba sous les doigts. Il s’ouvrait de lui-même à cette page. Le regard de Jude s’agrandit. The Call.

Il se souvenait…

« Seule devant un petit feu, un soir d’hiver, elle entend les ténèbres l’appeler. Sa maison est chaude autour d’elle, et belle, et peut-être est-ce le bonheur. Mais le bonheur n’est pas fait pour elle. Elle a depuis trop longtemps pris l’habitude de n’être pas heureuse. Derrière les vitres noires, il y a des voix qui l’attirent, et, tout à l’heure, dans le froid et la nuit, elle s’en ira toute seule vers son génie, vers son destin désespéré. »

Phrase après phrase, la vérité si perspicacement trouvée tout à l’heure s’effaçait pour faire place à l’autre vérité, la seule exacte, celle-là qui, peu à peu, figeait dans ses veines tout le sang de Jude Harlingues.

Rédalga ne reviendrait pas. Rédalga resterait introuvable. Vainement il irait demain la chercher dans Paris. Elle était perdue pour lui.

À partir du moment où l’ivresse commence, en même temps que la peur qui, certes, est un facteur néfaste de son acte, — cette peur qui lui en rappelle d’autres — retrouvant son âme vraie dans l’alcool, seul lyrisme de certains poètes,