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rédalga

elle redevient celle qui, par un soir de sa vie passée, écrivit ces vers terribles.

L’existence, une fois de plus, l’a ramenée devant le même petit feu, seule, écoutant ses voix l’appeler dans la nuit. Il ne fallait jamais la quitter. Il ne fallait pas la laisser seule devant ce petit feu, le soir, il ne fallait pas lui permettre d’écouter ses voix. Quelques heures de retard ont suffi.

Non, elle n’est pas née pour devenir la muette collaboratrice d’un autre art que le sien, la femme à qui l’on fait l’honneur de l’épouser, la compagne d’une inspiration étrangère.

Elle n’est ni Rédalga, ni lady Mary, ni la girl, ni la chérie. Elle n’est pas Mme Jude Harlingues. Elle est l’auteur de ces trois livres, Mary Backeray, l’exilée, l’abandonnée, dont personne ne soupçonnera jamais le génie, l’Anglaise dévoyée qu’on voit, seule à minuit dans les bars de Paris, scander pour elle-même les vers composés entre deux consommations. Elle est, qui n’écrit plus rien si l’amant la range, l’épouse, l’asservit, le farouche poète de l’indépendance, de l’ironie et de la douleur, la pathétique inspirée à qui son vrai destin dicte ce cri, le seul qu’elle ait le droit de crier jamais : Le bonheur n’est pas fait pour moi.

Monstrueusement, candidement, avec son ingénuité de mâle, il a cru, l’amant, qu’une telle proie se captait comme n’importe quelle femme, et qu’il suffisait à celle-ci d’être amoureuse de lui pour oublier sa sombre poésie, son amer devoir, — sa raison d’être.

Tranquille et fier, sans même s’apercevoir de son attentat, il voulu la sacrifier toute au bonheur, leur cher bonheur si tentant. Mais la solitude et la nuit sont revenues la trouver au coin du tranquille petit feu conjugal, et, frémissante, désespérée, une fois de plus elle les a suivies, elle est partie comme elle était arrivée, sans explication.