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rédalga

— Oui, comme une grand’mère un peu gaga… L’Europe est pour vous une pourriture, rien de plus. Mais, au fond, comme vous êtes jaloux de nous, la vieille race blasonnée, jaloux de nos cathédrales, de notre histoire… Ce jazz est odieux, décidément !

Rodrigo ayant remarqué : « Comme ce serait mieux de t’entendre dans tes compositions !… » l’autre fit son petit sourire nostalgique.

Pâle, rasé, les yeux en grains de café sous un vaste front aux grands sourcils rapprochés et calmes, le nez gros, la bouche sans lèvres, le menton petit, avec ses cheveux lisses comme un plumage d’ébène, Alvaro, mince et sinueux, assez hautain, ressemblait à un cygne noir.

Harlingues se le disait en le considérant, Depuis que les hasards de l’art les avaient liés, il goûtait la culture universelle, la courtoisie de qualité, toutes les élégances de son camarade intermittent, et aussi ce qu’il répandait de fluides exotiques, malgré ses faux airs de snob parisien.

C’est le charme de certains étrangers de nous enchanter par des manières policées que nous n’avons plus entre Français parce qu’en famille on n’a pas besoin de se gêner.

Les Portugais, parmi toutes les nationalités qui ont choisi notre Paris, y apportent l’âme d’une race distinguée et mélancolique, peu connue chez nous qui n’avons pas étudié sur place les racines d’un pays accolé à l’Espagne et lui ressemblant si peu.

Quand Alvaro se met au piano pour y jouer en maître les choses les plus déchirantes avec l’air le plus indifférent, comment devinerions-nous que cette musique vient naturellement sous ses doigts, du fond des tavernes de Lisbonne et d’ailleurs où ceux du bas peuple, la guitare aux mains, improvisent, en même temps que l’air, les paroles désespérées qu’ils chantent pour se reposer du labeur quotidien, et s’intoxiquent de leur fado national, véritable morphine ? Comment nous