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rédalga

Ce n’était pas seulement pour ce qu’elle contenait sur l’histoire et la mentalité de l’étrangère, ce n’était pas seulement parce qu’elle le rendait fier, tout à coup, d’avoir été choisi par un tel poète, c’était surtout parce que cette lettre éclairait Jude sur lui-même, lui faisait découvrir des sentiments profondément cachés dans son cœur.

« …En faire ou plutôt en refaire un être merveilleux en la régénérant… »

C’était à cela qu’il pensait sans le savoir depuis l’instant où cette femme avait eu ce regard en le comparant au visage de sa mère.

Les paroles qu’elle avait dites ensuite au sujet de ses statues n’avaient fait qu’accentuer son obscur intérêt pour l’inconnue qui parlait ainsi.

Par la suite, malgré la désinvolture avec laquelle il avait reçu ses marques inattendues de tendresse, quelque chose en lui savait bien que l’affaire était plus sérieuse qu’il ne voulait le croire.

Soudain magnifiée par ce qu’il apprenait d’elle, la pauvre Anglaise « cette bonne femme-là », devenait à présent l’être rare, le dangereux enfant perdu sur lequel on ne saurait refermer ses bras qu’avec émotion et une sorte de douloureux respect.

Il n’était plus « bien attrapé » mais triste.

Elle ne revenait pas le voir. Cependant, c’était pour lui seul qu’elle avait coupé ses cheveux, rafraîchi sa toilette et son visage, pour lui qu’elle était devenue belle. Sans bien deviner comment, chose de plus en plus certaine, il l’avait froissée dans son élan vers lui.

Sombre, la lettre éparpillée sur son petit divan, il réfléchissait, se reprochait d’avoir compris en retard près de quel beau pathétique roman il venait peut-être de passer.