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rédalga

Avec cela l’aveu de sa chute progressive, l’amour orgueilleux de son art, et une technique qui n’appartient qu’à elle. Et nulle part, chose plus curieuse que tout le reste, on ne voit se manifester l’influence de l’alcool.

Que ce descendant de votre Villon et de votre Verlaine soit femme — et née en Angleterre, encore… — voilà le plus étrange de toute l’affaire, vous ne trouvez pas ?

Dites si je ne suis pas prophète pour avoir senti tout cela dès le bar de Montparnasse ? Cette femme serait seulement un peu belle ou plutôt ne serait pas impossible, il y aurait de quoi avoir le grand béguin, malgré son âge. Je sais bien qu’Alvaro rirait de moi s’il savait. Aussi n’est-ce pas à lui que je me confie. Il est trop grand seigneur pour apprécier celle sorte de saveur. Mais moi qui ne suis pas « de votre Europe blasonnée », moi le sauvage, je vous dis sans honte mon impatience de revoir cette femme après ce que je sais d’elle. Car peut-être serait-il possible de la tirer de son horreur et d’en faire ou plutôt d’en refaire un être merveilleux, en la régénérant.

Je ne suis pas sûr que vous ne souriez pas comme le ferait Alvaro, tout en lisant cette trop longue lettre. Excusez-moi, cher monsieur Harlingues, si j’ai tant abusé de votre patience. Mais vous êtes un si grand artiste qu’il m’a semblé sentir en vous celui qui pouvait tout comprendre. Et, certes, l’homme qui fit la Grande Initiée est capable d’apprécier le goût du mystère, même chez un être aussi déclassé que celui dont je parle.

Croyez, maître, à mon admiration, à ma cordialité toute respectueuse.

Dans une quinzaine environ, je serai revenu de Londres. Quelle joie de vous revoir au milieu de vos chefs-d’œuvre

Rodrigo.

Après qu’il eût dîné, plusieurs fois il relut cette lettre.