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Le dîner avait été silencieux, oppressé. Ludivine attendit que ses deux petits frères fussent allés se coucher. Une fois disparus, ayant ouvert le buffet de bois blanc, elle s’approcha de Delphin qui rêvait, le menton bas.

— Tiens !… lui dit-elle, bourrue. Voilà des bobons pour toi ! T’en suceras en t’endormant. Ça te fera du bien !

C’était sa manière de demander pardon. Les grands yeux purs du mousse la regardèrent, et son cœur tendre d’orphelin grondé se remit à battre normalement.


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Ludivine et sa mère s’étaient couchées sans que Bucaille eût reparu.

— Le v’là qui recommence !… avait dit tristement la mère.

Mais la petite, concentrée dans sa colère, n’avait rien répondu. Comme une commère qui fait marcher au pas ses hommes, elle calculait, au bout de cette journée, tous les manquements des mâles de la maison.

Les deux petits frères avaient reçu, à leur heure, les gifles méritées ; Delphin venait d’avoir son paquet. Le plus grand coupable n’avait pas encore expié.

Jusqu’à ce jour, l’enfant ne s’était jamais mêlée encore de gourmander son père. Elle l’avait laissé se débrouiller avec sa femme, indifférente à leurs querelles.

Mais à présent qu’elle avait pris d’assaut le pouvoir et dirigeait la maison, elle était prête à lutter avec lui comme avec les autres, et se préparait à le faire bien voir.

Il y a dans le peuple, et surtout dans le peuple de chez nous, de ces petites filles qui sont l’équivalent des enfants prodiges qu’on