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voit surgir dans le monde des arts. Ludivine se révélait soudain chef de famille, comme d’autres de son âge se révèlent virtuoses.

— J’allons bien voir !… se dit-elle en mettant sa tête sur l’oreiller. Et ce fut dans ces dispositions qu’elle s’endormit.

La femme de Bucaille, habituée, fut debout avant que son homme eût ouvert la porte du logis, dont il avait toujours la clé sur lui.

Elle alluma une chandelle, passa sa jupe et son caraco d’un geste résigné, prête à subir le choc immanquable, espérant seulement s’en tirer sans coups. Peut-être, en ne lui parlant pas, l’ivrogne se fût-il couché sans scène. Mais une Normande est une Normande. La grêlée ne pouvait pas ne pas dire son mot.

— Ah ! te v’là, vieux tabernacle !… fit-elle à voix basse. Est du propre !

Et, comme s’il n’eût attendu que cette amorce, l’autre éclata séance tenante.

L’alcool, qui peut, sombre enchantement, transformer un brave homme en monstre, donnait à celui-ci, d’ordinaire si taciturne, une éloquence furibonde.

Tout en titubant vers la chambre à coucher, il commença les injures et les menaces, étourdissantes horreurs. Mais il n’avait pas passé la porte de la cuisine qu’il vit devant lui, hérissée, une adversaire autrement agressive que sa femme.

Enveloppée dans son fichu, Ludivine faisait son entrée.

Elle n’osa pas crier, par respect pour le sommeil des trois garçons. Mais quoique dites dans un souffle, les paroles gardèrent le ton du courroux le plus éclatant.

— Alors, proféra-t-elle, est pour nous traiter qu’tu rentres de nuit, quand la marée est basse, toi qui devrais t’cacher, saoul comme t’es ?… Mais tu nous vomirais les plus grandes orgies qu’on n’aurait pas peur de té, tu sais ben !

Elle ne savait que trop bien qu’il n’était pas commode quand