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yeux vitreux sur le carrelage. La chandelle, située juste devant son corps, faisait danser derrière lui son ombre, géant noir sur le mur clair.

Pendant ce court répit, un silence tomba. Dans le fond, les enfants avaient dû se rendormir.

Le pêcheur, tout à coup, reprit l’offensive.

— Vas-tu m’laisser passer !… hurla-t-il en s’élançant.

Il arrivait tout droit sur sa fille.

— Tu n’passeras pas sans avoir entendu !… cria-t-elle. Ah ! tu crois qu’tu vas continuer à rentrer toutes les nuits dans la position où que t’es ? Et d’abord, où qu’il est, l’argent de la criée ?… Veux-tu nous l’dire ?… Veux-tu nous dire, itou…

Elle se dépêchait, se dépêchait. Et le procès tout entier du mauvais père fut fait en une seule période, assaisonnée de ces expressions fortes qui formaient le fond du langage de la maison.

Quand il eut tout entendu, Bucaille, pour la seconde fois, leva le poing ; la femme et le mousse s’étaient avancés.

— Touche-moi, si t’oses !… rugit la petite.

Et de bas en haut, les bras croisés, elle magnétisa le grand type d’un regard tel qu’il en fut traversé malgré son état.

Le poing retomba.

— Laisse-moi passer… dit-il lentement.

Et, comme méprisante, elle s’écartait enfin, il s’en fut en chancelant au lit.

En se levant pour préparer le départ du matin, la femme Bucaille fut surprise de ne trouver ni son mari ni Delphin dans la maison.

Le marin avait dû partir sans réveiller personne, entraînant son mousse avec lui.

— Il aura eu honte… conclut la grêlée, songeuse.

Mais Ludivine, elle, savait bien que c’en était fait, et que, désormais, son père avait peur d’elle, comme les autres.