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— J’t’aime bien, va… s’exclame-t-il brusquement tout bas.

Sans bouger de sa place, sur le même ton :

— Moi aussi !… dit-elle.

Et vite elle ajoute :

— Est pour ça que j’veux pas qu’tu sois malheureux chez nous !

Avec chaleur, le petit :

— Tant que tu seras là j’serai jamais malheureux. Y a déjà longtemps que j’sais que j’pourrais plus m’en aller d’auprès de toi, même quand j’le voudrais !

Un silence suivit. Ce grand coup de sincérité, qui les étonnait eux-mêmes fit qu’ils détournèrent ensemble la tête, au lieu de se jeter au cou l’un de l’autre comme il eût été si naturel de le faire.

Ludivine reprit un ton léger pour annoncer :

— Ah ! v’là mon buffet rangé !…

Et Delphin, retournant à ses pommes de terre, se remit à les peler, attentif, sans plus prononcer un mot.


✽ ✽

Le premier soir — qui ne tarda guère — où Bucaille, de nouveau, rentra ivre au logis, Ludivine ne sortit pas de son lit pour l’insulter. Elle écouta de loin sa mère quereller, se rendit compte qu’il n’y aurait pas de coups, et, le silence retombé, se rendormit. Sans doute dut-elle faire un grand effort pour ne pas courir du côté des cris. Son instinct la jetait avec tant d’entrain dans les batailles ! Mais elle s’était fait honte à elle-même devant Delphin, en disant que « cela avait l’air poissonnier ». Ce fut l’orgueil qui la retint.

Cependant elle prit le lendemain sa revanche. Excessive, intransigeante, absolue comme seule peut l’être un enfant, elle reprocha vertement à sa mère de ne savoir pas tenir sa langue et lui fit remarquer qu’il était dangereux, inutile et déplacé de dire un seul mot à un homme qui rentre pris de vin.