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sur le banc, suffit à tenir en laisse la barque docile. Et bientôt la cueillette commença.

Dispersées, occupées, les femmes ne disaient plus rien. Seuls un ou deux éclats de voix, par instants, signalaient quelque méduse, « une sagone », disent-ils, ajoutant que, pleine d’acide, elle n’est constituée que par « de la graisse d’eau ». Il y avait aussi la mouette-poule « qui se nourrit du bien des autres », et divers autres oiseaux et bêtes marines, seuls habitants du Ratier ruisselant d’eau.

Cependant les bouées qui le dessinent et qui, la nuit, sont lumineuses, indiquent assez le péril que représente cet écueil long de cinq à six kilomètres et large de quelque quatre cents mètres.

La bouée, ou « tonne » de l’Ouest, mouillée à cent mètres du danger, est un véritable petit phare à éclipses, complété par la tonne du Sud, la tonne de Noroît et la tonne de l’Est, celle-ci marquant la queue de la raie.

Les marins, disent aussi, sans rien savoir de la vieille légende du géant Ratir changé en silex sous le roi Artus, « que le Ratier ressemble à un bonhomme ». Il y a la gambe du sû (jambe du Sud) et la gambe du Noroît.

Formé de roche, de vase et de sable, traversé de bâbord à tribord par un petit canal naturel, le banc est recouvert d’un manteau de moules, les blondinettes, qui sont les meilleures, et les fillettes ou moules ordinaires. La mer, pendant la sixième heure de sa montée, s’avance dessus, selon le terme matelot « au pas d’un homme ». Elle l’engloutit peu à peu, le cache pendant fort longtemps, puis le laisse lentement réapparaître. Il a, lorsqu’on le parcourt, deux versants en dos d’âne, et un aspect de grève sauvage, d’une couleur générale « tête de nègre », faisant une opposition très marquée avec les pâleurs changeantes de l’estuaire. On s’y trouve situé entre la côte du Havre par le Nord, et la côte de Honfleur par le Sud.