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Les pieds dans la vase ou dans l’eau, comme les autres, trempée, crottée, Ludivine, restée à l’écart, cueillait avec rage, tout en ressassant des pensées sans douceur. Et, redevenu besogneux, son regard ne s’attardait pas aux détails de ce Ratier désolé, qui devait jouer, dans sa vie, un rôle si tragique.


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Quand elle apparut à la porte du logis, vers l’heure du déjeuner, elle fut accueillie par une clameur mêlée à tant de gestes qu’elle en resta pendant une seconde immobile sur le seuil.

Sa robe boueuse se collait à ses jambes ; sa lourde frange de chanvre, dérangée par le vent marin, s’écartait sur son front décoiffé.

Elle vit d’un coup d’œil que la famille, dans la cuisine, était au complet. Son père venait de rentrer, sans doute, avec Delphin. Le gamin Armand arrivait de l’école. Il ne manquait que le petit malade couché dans la chambre du fond. Ils étaient tous là, tendant vers elle des visages où le courroux et l’anxiété se mêlaient. Et, plus que toute autre chose, elle remarqua l’expression scandalisée de Delphin.

Son père venait de se lever d’un bond. Il la saisit par le bras comme s’il allait la battre. Et pourtant il n’était pas ivre.

— Vas-tu nous dire où qu’t’étais ?… demanda-t-il, frémissant de colère.

— Depuis c’matin, glapissait la mère, qu’on est là à se ronger les sangs !… Que déjà la maladie du petit me crève le cœur !…

— Même qu’il a fallu que j’coure toutes les boutiques pour te chercher !… continuait la voix aiguë du petit Armand.

Mais Delphin, lui, ne dit pas un mot.