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raissait du souvenir de Ludivine. Lui-même devenait chaque jour moins triste. Ses malheurs s’estompaient dans le lointain des mois. Il se sentait de nouveau bien à sa place dans la vie, au chaud parmi l’affection de tous.

— Ludivine, avait-il dit, un dimanche, si on allait se promener, avec les petits, sur la jetée ? J’y allais toujours avec papa et maman, aut’fois.

Elle avait consenti, pour ne pas lui faire de peine, puisque c’était un souvenir de famille. Mais son ironie intérieure riait, tandis que, mêlée aux promeneurs de la ville, elle allait à pas comptés, endimanchée, ses petits frères marchant devant, et Delphin à son côté ; car elle n’avait pas oublié le proche passé, quand, barbouillée, dépeignée et féroce, c’était sous la jetée et non dessus qu’elle se promenait avec sa horde de vauriens.

Cependant, peu à peu, la coutume de sortir le dimanche avec le mousse et ses frères lui devenait familière, s’insinuait dans les mœurs de la maison. Et, le jour que Delphin lui proposa de monter à la côte de Grâce, ce fut avec plaisir qu’elle accepta.

L’adolescent n’osait pas, en arrivant en haut, entrer dans la chapelle. Fils d’une mère et d’un père très pieux, il n’avait jamais fait allusion à cette éducation première, depuis qu’il était entré dans sa nouvelle famille. Les propos irrévérencieux de Ludivine lui faisaient peur. Il craignait de froisser ses bienfaiteurs en affectant d’aller à la messe quand ils n’y allaient point. Il ne voulait pas avoir l’air de protester contre leur indifférence religieuse. Simplement quand Ludivine, mise en verve, se prenait à parler de la bonne Vierge à peu près comme d’une « créature de ville », il se mettait à lire, ou bien sortait, attitude vite remarquée par la fillette, et qui l’engageait, les jours où son démon se réveillait, à exagérer exprès ses propos effarants de femme du port.

Ce dimanche-là :

— Pourquoi que t’entres pas, puisque c’est ta fantaisie ?…