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Le lait de mai.

Les jeunes gens et les jeunes filles du peuple partent en bande à l’aube, pour courir la campagne, à la recherche d’une ferme où ils entrent juste à l’heure de la première traite. Car ce lait, qui se boit en face de l’aurore, doit être versé sortant de la mamelle, dans le pré même, autour de la vache.

Ils chantent, dansent et jouent en route ; mais ils ne se doutent pas que cette partie de plaisir répond à l’instinct délicieux de rendre hommage au printemps.

La traversée de la ville endormie parut sinistre à Ludivine et à ses frères, qui n’étaient pas habitués, comme le mousse, aux sorties nocturnes. Ils eurent un petit frisson en s’engageant dans la noire « charrière » de la Croix-Rouge. Mais, arrivés au plateau, sous les marronniers, ils virent qu’un peu de bleu paraissait à l’horizon, lézarde par où le jour allait peu à peu se glisser, jusqu’à la sortie du soleil, qui ferait éclater tout le ciel. Et, dès qu’ils eurent vu cette annonce de la lumière, leur cœur, serré par une angoisse tout animale, commença de se tranquilliser.

Le quart d’une lune brillait, entre quelques nuages écartés, avec deux ou trois étoiles. Quand les haies de la route le permettaient, ils voyaient, au milieu d’un pré hanté de vapeurs blanches, cette lune comme emprisonnée dans la cage fleurie de quelque haut pommier crochu, branches rosacées qui portent, touffu, léger, mouillé, leur copieux fardeau de bouquets immaculés.

Au moment de tourner la route, le crépuscule du matin rayait le ciel. La petite lune devenait pâle comme un mouchoir flottant. Mais les étoiles demeuraient, ayant encore tout un morceau de nuit pour y scintiller. Et des zones de parfums, traversées au passage, révélaient des chèvrefeuilles ou des aubépines qu’on ne voyait pas encore.

— Où qu’tu nous mènes ?… demandait Ludivine.

Le mousse avait dit : « Nous irons chez des amis à maman,