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Une fille de ces pêcheurs, à quatorze ans, droite, fuselée, large d’épaules, redresse, sous sa robe misérable de prolétaire, le petit buste grec qu’on rencontre souvent chez nous.

On ne peut s’empêcher de rire en la voyant, tant ses yeux sont clairs et ses cheveux blonds. Il y a des filles blondes qui ont la couleur des céréales. Elle est, celle-ci, d’un blond presque blanc. Sa natte semble tressée en filin de chanvre ; les mèches de sa frange épaisse et souple descendent bas sur ses prunelles, lesquelles sont tellement incolores entre des cils noirs qu’on croit d’abord voir le jour à travers sa tête.

Est-ce qu’on pense à regarder le reste après avoir vu cela ? Le reste, c’est un nez et une bouche dont il n’y a rien à dire. Le teint de son âge, douce rose lisse, enveloppe le tout, et, hâlé par le sel, est une fois plus foncé que la frange pâle.

Elle porte, en l’honneur de quelque aïeule, un nom clair comme ses cheveux et ses yeux, un nom, dirait-on, de fée, et qui se donnait autrefois ici : Ludivine.

Ainsi faite et nommée, elle est bien, malgré les rudes réalités de sa vie, une création de l’estuaire.

Je suis sûre que ceux qui l’ont connue n’ont jamais songé à cela. La poésie et la beauté sont là, tout autour de nous, qui nous font des signes ; mais nous n’en voulons que dans les livres.

Comme il vaudrait mieux savoir lire la nature que les lettres imprimées !

Ludivine Bucaille n’étonnait quiconque autour d’elle. Elle-même restait sans opinion sur sa propre personne. Tout comme les pêcheurs parlant de la mer, elle eût, avec toute l’ironie normande, déclaré volontiers en parlant de sa figure : « J’y fais point seulement attention ! »

Car les pêcheurs de Honfleur, nonobstant l’anneau d’or que l’un d’eux porte encore à l’oreille, leur bonnet de laine bleue, leurs cirés et leurs suroits, ne sont poétisés que d’après nous