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Le petit Maurice :

— Combien de temps qu’y t’faudrait pour le finir, si t’y travaillais tous les jours ?

— Sur les longs-courriers, expliqua Delphin, les matelots mettaient bien deux mois, qu’mon père m’a dit.

Installés autour de ses mains habiles, les deux petits frères, hypnotisés, suivaient les progrès du bateau lilliputien. C’était par ces longues soirées d’hiver qui commencent au milieu de l’après-midi. Sitôt rentré de mer, le mousse se précipitait sur son couteau, ses pointes, ses petits bouts de bois pareils à des jonchets, tout son attirail amusant et menu. Parfois même, après des nuits passées à la pêche, il en oubliait d’aller dormir pour rattraper le sommeil perdu. Ludivine devait se mettre en colère.

— Pour qui qu’t’es si pressé !… Elle attendra bien, ta bonne Vierge !…

Mais les taquineries ne faisaient plus aucun effet. Delphin était fixé. Son vœu était exaucé. Il n’avait plus qu’à porter son présent à la chapelle.

Sur la table, encombrée déjà par les boîtes à ouvrage de Ludivine et de sa mère, qui cousaient ensemble après dîner, le mignon chantier jetait son désordre marin.

Et parfois de longs silences laborieux tombaient sur tant de têtes courbées autour de la lampe basse, celles de la mère et de la fille sur quelque chaussette ou fond de culotte, celle de Delphin sur son joujou, celles des deux écoliers sur les doigts constructeurs du mousse,

Avec une patience infinie, il avait sculpté son crevettier, du bout de son couteau, jusqu’à en faire un véritable bibelot de musée. Rien n’y manquait. La barre mobile commandait le gouvernail, la cale était pontée et munie d’écoutilles ; et les proportions de la coque, de l’étrave à l’étambot, étaient respectées avec sévérité.