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Présentement, Delphin commençait la confection des mâts Ensuite, il lui resterait à peindre la coque, puis à fabriquer les voiles avec leurs drisses et leurs petites poulies grosses comme des têtes d’épingles. Enfin il faudrait entrer le bateau dans la bouteille par le goulot trop étroit, et le tout serait posé sur un pied de bois. Ludivine, en temps voulu, tricoterait un petit bonnet de laine pour coiffer le bouchon définitivement enfoncé dans le goulot, et l’ex-voto serait ainsi terminé.

— Est la première fois, disait le mousse, qu’on s’avise d’un crevettier pour une bouteille. D’ordinaire, y vous font des grands quatre-mâts ou des goélettes, à moins que ce ne soient des vapeurs à trois cheminées.

Et le petit Armand, ayant déjà le goût de la mer, ne cessait de poser des questions :

— T’as donc jamais regardé l’bateau de ton père ?… commençait Delphin, ironique. Deux mâts qu’y a. L’grand mât, et l’beaupré. Celui-là est mobile, au contraire du grand. La voilure ?… Une grand’voile entre corne et bôme, une flèche et deux focs — car la trinquette est un foc, pour tout dire. Seul’ment la trinquette est amarrée sur l’étrave, tandis qu’le foc propr’ment dit a sa draille qui prend sur le grand mât en haut et sur le beaupré en bas, avec une écoute au sommet d’l’angle.

La conversation cessait. Alors on entendait le tic-tac du coucou, chose vivante au fond de l’ombre. Calme, le rond lumineux de la lampe faisait plus noir le reste de la cuisine. Et, dehors, la grande voix de l’estuaire, rumeur éternelle, parlait de l’horizon, de la nuit, de la marée, du risque.

Au bout d’une heure environ :

— Allons !… disait Ludivine. Au lit, tout l’monde !

Et, chaque fois, les petits avaient envie de pleurer. Car, sans l’analyser, ils sentaient bien que cette voix autoritaire défaisait un grand charme.