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parlant de la marraine. Et cela veut dire beaucoup de choses. Quant à Lauderin, il est connu dans la ville pour son argent, son faste et ses aventures galantes, sans compter la renommée de son café, fréquenté par les pilotes et par les messieurs des Ponts et Chaussées.

La curiosité d’abord, la gourmandise ensuite ont dirigé Ludivine du côté du vieux bassin. Il y aura du monde, et les dragées seront bonnes, raisons suffisantes pour l’ancienne petite coureuse de rues. Delphin l’a suivie à contre-cœur, comme si quelque instinct l’eût averti qu’il allait vers son malheur.

— Tu n’vas toujours pas courir après les dragées avec les gosses du ruisseau ?…

Cette petite parole a froissé Ludivine. Elle n’a pas répondu. Mais, pour taquiner le mousse, pour le punir d’avoir tant de mépris envers ses anciens pareils, la voici, déjà cabrée, qui se prépare à le scandaliser autant qu’elle le pourra.

La barque avait été lancée quelques jours plus tôt dans le chantier. On voyait son nom à l’étambot : Bon-Bec. Son étrave était peinte en rouge, reflet de corail qui jetait une lueur jusqu’au fond du bassin noir. Présentement, munie de ses mâts et de sa voilure, ce qui fait un plus beau baptême, elle se dressait, toute neuve, isolée dans ce bassin où l’on ne voit presque jamais de bateaux. On l’avait accostée au bas des quelques marches qui descendent jusque dans l’eau vaseuse, et ses belles voiles encore vierges de vent, sa peinture fraîche, ses mâts propres la faisaient ressembler à quelque grand joujou sorti de son carton.

Une vieille barque abandonnée qui montre déjà son squelette est pathétique à voir. Une barque neuve l’est encore plus, peut-être. Car l’une a fini ses risques et l’autre les commence. Elle n’est pas encore hantée par l’âme des hommes et l’âme de la mer, ces deux forces tempétueuses. Et l’on songe aux jours qui devront s’écouler