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disaient les voisines. Les mauvais propos du début avaient cessé. On commençait à comprendre quel beau geste avait été cette adoption de l’orphelin. Sans y démêler aucune nuance, en bloc, le port convenait que la présence du petit Le Herpe avait assaini la vie de ses bienfaiteurs. Et comme tout finit, dans le peuple de chez nous, par quelque sentence : « Les bons cœurs sont toujours récompensés… » concluaient les gens.

Cependant, les acomptes payés aux fournisseurs de la barque avec l’argent gagné par la pauvre Bucaille ne suffisaient plus pour arrêter leurs murmures. Les dettes devenaient criardes. La saisie menaçait. Le bateau, qu’on ne pouvait faire réparer avant d’avoir réglé ces arriérés, devenait de plus en plus dangereux. Il avait fallu se résigner à ne sortir que par beau temps. Ces vacances forcées faisaient, au fond, la joie du pêcheur, toujours plus ivrogne, toujours plus paresseux. La misère allait recommencer. Malgré le bel effort des femmes, le vice du chef de famille était le plus fort.

Ce fut à cette époque, au moment où ils s’y attendaient le moins, que le destin, qui, parfois, est bien plus subit que les grains en mer, vint changer la face de leur existence à tous.

Comme ils sont simples parfois, les événements qui doivent bouleverser la vie des humains !

Delphin et Ludivine, un après-midi, sont allés, comme les autres, voir, au pied de la Lieutenance, le baptême d’une barque.

Cet événement, souvent renouvelé dans le port, ne les aurait pas attirés, s’il ne s’agissait aujourd’hui d’un baptême de marque, la barque appartenant à M. Lauderin, un riche cafetier qui vient de s’improviser armateur, comme le font souvent, chez nous, des commerçants qui n’ont rien de maritime.

Les potins des commères ont surexcité tout le quartier. On sait que le parrain et la marraine seront la belle-sœur et le frère du cafetier, des Parisiens. « Elle porte voilette… » répète-t-on en