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Le rituel terminé, les prêtres se défirent de leur surplis et se retirèrent. Et tout aussitôt commença la ruée autour de la marraine, qui montait les marches en jetant des dragées.

Outre les sordides bandes d’enfants qui se faufilent partout, nombre de personnages du port, débardeurs et autres, ne craignaient pas de se précipiter les premiers pour attraper les bonbons volants.

Et plus d’une grosse voix d’homme moustachu se mêlait au chœur aigu des mioches :

— J’en ai pas eu, madame !… J’en ai pas eu !…

Assaillie, bousculée, le chapeau de travers, la marraine défendait ses dragées comme elle pouvait contre les mains avides qui lui barraient le chemin.

À l’écart de cette petite curée, quelques marins regardaient en cercle, amusés du spectacle.

La Parisienne, prise d’assaut, suscita bien vite les moqueries de Ludivine :

— R’gâde la voilure de son capet qui prend l’vent !… Tout à l’heure y va nager dans l’bassin avec la barque !… Et c’est qu’elle en fait, des p’tites croupettes ! Elle est peinte à neuf itou, la marraine !…

— Te tairas-tu ?… soufflait Delphin. Elle va entendre !…

— J’m’en fiche bien, par exemple !… lui jeta-t-elle par-dessus son épaule.

Pour voir de plus près cette marraine un peu fardée et dont le luxe assez commun excitait sa verve, elle fendit la houle grouillante, à coups de coude, suivie par l’adolescent qui cherchait à la retenir.

Juste à cet instant, venant au secours de sa belle-sœur, Lauderin, le cafetier-armateur, accompagné de son frère, parrain de Bon-Bec, surgit on ne sait d’où, tenant aussi dans ses mains une provision de dragées qu’il se mit à jeter dans une autre direction.

Ludivine, lancée en avant, se trouva face à face avec lui, le dévisagea, — moustache rousse, prunelles foncées, figure blafarde