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sur un corps petit et rablé d’homme de trente ans, — le dévisagea d’un regard effronté, puis tendant les deux mains :

— Donnez-m’en !

Sentant que, derrière elle, Delphin, formalisé, la pinçait, elle exagéra tout de suite, et se mit à rire d’un rire canaille.

Lauderin, arrêté devant elle, la dévorait des yeux.

— Tenez, mademoiselle !… dit-il.

Et, sans quitter du regard les yeux trop clairs, les yeux fascinateurs qui se moquaient de lui, dans les deux paumes ouvertes de la petite, il versa la moitié de ses dragées, dont une partie roula par terre, aussitôt ramassée par vingt-cinq mains enchevêtrées.

Emportant son butin de toutes couleurs, la petite pirate s’éloignait déjà sans dire merci, sans se retourner. Rieuse, elle revint vers Delphin tout rouge de honte. Celui-ci, la saisissant par le bras :

— Allons-nous-en, maintenant !

Et, nerveux, il l’entraînait, aimant mieux ne plus parler, tant il avait à dire.

Ludivine, tout en le suivant, tendit vers lui ses paumes qui semblaient pleines de petits œufs d’oiseau.

— En veux-tu ?…

Il haussa les épaules, furieux.

Elle s’arrêta quelques secondes pour se glisser dans la bouche deux dragées à la fois. Alors, derrière elle, une voix appela :

— Mademoiselle ?…

Elle fit volte-face et vit Lauderin qui l’avait rejointe. Alors, pour agacer Delphin, elle sourit au cafetier, fort gentiment, en disant :

— Merci bien, monsieur !

Il ne souriait pas, lui. L’expression de son visage était celle d’un homme foudroyé.

Pendant que le mousse, complètement exaspéré, la reprenait au bras presque brutalement, l’autre, resté sur place parmi la foule, la regardait s’éloigner avec un regret immense.