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pas, il avait bien fallu se résigner à dépenser six francs pour le mener à la consultation.

Le médecin ne cacha pas à Ludivine que le cas du petit n’était pas bon. Il fit une ordonnance longue, dit qu’il fallait revenir tous les cinq jours pour des pointes de feu, puis parla d’un sanatorium mot que la jeune fille ne sut jamais répéter, et qui lui parut hébreu, sinon chinois.

La mère, en apprenant tout cela, leva les bras au ciel, désespoir compliqué. D’une part, la potion, les cachets et les pilules qu’il fallait faire faire chez le pharmacien, sans compter l’obligation des pointes de feu, constituaient une dépense calamiteuse, vu l’état précaire du budget ; d’autre part, l’importance même de cette dépense signifiait clairement que le petit était en danger.

Le chagrin causé par les maladies de leurs enfants est toujours doublé, chez les prolétaires, d’une désolation pécuniaire, et les deux soucis sont situés exactement sur le même plan.

— J’avions bien besoin de ça, avec les dettes qui nous mangent déjà !… répétait la femme Bucaille. De dire que j’me tue à lavailler pour donner des acomptes aux mâdits fournisseurs, et que la médecine va tout m’emporter !

Et ce n’était qu’après s’être longtemps lamentée sur cette donnée qu’elle ajoutait :

— Pourvu qu’mon p’tit gas se guérisse vite, moi qu’ai déjà perdu mon aîné !

Ce fut en revenant de la seconde séance de pointes de feu que Ludivine, ayant laissé son petit frère rentrer seul tandis qu’elle continuait à faire quelques courses en ville, rencontra, comme elle s’en revenait dans son quartier, M. Lauderin lui-même, qui lui fit un grand salut.

Elle l’avait déjà complètement oublié, bien que Delphin continuât, jusqu’à ce jour, à bouder comme un enfant.

Divinatrice comme toujours, elle eut nettement l’impression que