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le riche cafetier ne se trouvait pas par hasard dans « ce parage matelot », mais qu’il avait dû se renseigner, et rôdait exprès par là.

Sans oser rien affirmer elle fut amusée par cette pensée, qui réveillait son humeur railleuse et taquine. Une nouvelle victime à tourmenter n’était pas pour lui déplaire.

Cependant, malgré toutes les paroles qu’elle avait dites pour exaspérer Delphin, ce Lauderin ne lui était certes pas sympathique. Elle détestait d’instinct les riches, et, sans même qu’elle le sût, son esprit de caste était formel, la cantonnant pour toujours dans le monde des gens de mer.

Le surlendemain, en sortant, vers le soir, du maudit bout, elle se trouva nez à nez avec son nouveau soupirant. Le boulevard marin était désert et assez sombre. Il osa, cette fois, aborder la jeune fille,

— Je ne sais pas si vous me reconnaissez… commença-t-il en tirant son chapeau. Nous nous sommes vus au baptême de ma barque, dernièrement.

Emportée par sa perversité, coquette, elle répondit :

— J’s’rais bien ingrate ! Vous m’avez fait une petite douceur, avec vos dragées, qu’étaient bien bonnes !

Encouragé, le coureur eut un sourire avantageux qui déplut instantanément à l’adolescente.

— Quand on a des yeux comme vous en avez, dit-il, on n’a qu’à tendre les mains pour obtenir tout ce qu’on veut !

Il ne comprit pas. Brusque, elle lui tournait le dos.

— Bonsoir !…

Il se mit à courir derrière elle.

— Mademoiselle !… Mais quoi ?… Qu’est-ce que vous avez ?…

Le jeu ne lui plaisait déjà plus. Elle se sentait froissée dans sa dignité singulière. Il lui fallait des timides. Les audacieux déchaînaient son esprit combatif, réfractaire, contradictoire.