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vine, les yeux fixes, dévisageait durement Lauderin, assis en face d’elle. Le pêcheur riait.

Il y eut un moment de grande gêne pendant lequel, fuyant le regard de la jeune fille, le beau visiteur inspecta les lieux, étonné sans doute de la propreté, de l’intimité, de la dignité de cet intérieur qu’il avait pu croire tout autre, imaginant quelque borgne repaire comme il en est tant en ville.

Avait-il essayé sur le père ivrogne, d’une manière détournée, les propositions si fièrement repoussées par la fille ? Venait-il voir par lui-même, n’ayant rien tiré du pêcheur pâteux, à quoi ressemblait cette famille dont il ne savait pas grand’chose ?

Pendant qu’il examinait, la pauvre grêlée, le cœur battant, essayait que fût avenant l’accueil fait à ce riche inattendu qui les avait si généreusement tirés d’embarras.

Le tout est de ne pas laisser tomber la conversation.

— Y fait chaud, m’sieu Lauderin, écoutez, qu’on en est resté !… Heureusement que j’sommes encore du bon côté d’l’année, quoique les jours en perdent tant ou plus ! Mais on y verra clair très tard encore pendant tout le mois d’août !…

Lauderin eut enfin le courage de laisser ses yeux retourner à Ludivine. Dans le langage immédiat et muet du regard, malgré lui, tragiquement, il exprima : « Je suis fichu. C’est fini ; car toi, garce, je sens que je vais t’avoir dans le sang. »

— Not’cidre n’est jamais qu’d’la boisson, m’sieu Lauderin ! Vous qu’avez tout ce qui s’boit d’meilleur dans vot’café, faut qu’vous ayez chaud pour accepter ça !

Aimable et supérieur, il se tourna vers la modeste créature :

— Ce qui est offert de bon cœur, madame Bucaille, vaut le meilleur champagne.

Elle rit, toute confuse et charmée, d’un pauvre rire édenté, si touchant.

— Mon homme nous a dit vos bontés, m’sieu Lauderin…