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Le tablier bleu se tortillait dans ses mains bouillies de laveuse.

— Ces éfants-là vous devront bien d’la reconnaissance, m’sieu Lauderin !…

Les deux petits, mornes, ne bougèrent pas. Ludivine ne sourcilla point.

— C’est jeune… Ça ne comprend pas encore.

— La mauvaiseté passe devant !… articula péniblement le pêcheur, dont les yeux troubles chaviraient.

Désolée de l’insolence glacée de sa fille, la grêlée tâcha de la faire entrer dans l’entretien.

— Y a pas trop à dire de l’aînée. Elle fait c’qu’elle peut !… Pas Ludivine ?

— Quel joli nom !… se récria Lauderin.

Il n’osait pas s’adresser directement à la petite. Après avoir enregistré son éloquent regard de tout à l’heure, elle avait cessé de le fixer. Détachée et lointaine, elle examinait le sol. Et ses longs cils noirs, sous son étonnante frange pâle, ne laissaient voir qu’à peine la lumière perlée de ses prunelles.

Malgré tous les efforts de l’infortunée Bucaille, le silence enfin tomba.

Lauderin, d’une main blanche et potelée, tournait sa courte moustache couleur de carotte. Il avait les yeux petits et noirs, le teint lunaire des roux, un commencement d’embonpoint, qui rapetissait sa taille moyenne et tendait à craquer son complet commun sur ses formes molles de citadin.

Quand le silence fut devenu intolérable :

— Ludivine… reprit-il, parlant presque bas. Ce serait un beau nom pour une barque !

Il s’avança d’un coup de reins sur sa chaise, comme pour se rapprocher de la jeune fille, séparée de lui par la table. L’audace lui revenait enfin.

— Vous accepteriez, mademoiselle, d’être la marraine de ma prochaine barque ?…