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des propositions louches, rien de plus légitime. Eux-mêmes n’ont-ils pas été les premiers à lui donner raison ? Bucaille l’avoue à présent : il a presque battu, dans son beau café, celui qui venait d’être pour lui si serviable, risquant de s’en faire un ennemi redoutable risquant la ruine de la famille. Mais, aujourd’hui, les choses ont changé de face. Outre tout ce qu’elle en tirera pour elle-même, Ludivine, mariée avec un riche, va sauver les pauvres siens d’un désastre inévitable. Si elle refuse, dans un mois c’est la misère noire. Il est trop facile à Lauderin de se venger. Ils sont à sa merci. Que vont-ils devenir tous ? Que va devenir le petit Maurice, qui demande à présent tant de soins ?…

— T’auras la mort de ton frère sur la conscience !… a trouvé la mère Bucaille.

Et cette terrible petite parole-là fait pâlir la jeune fille.

Quelle responsabilité que la sienne !

— T’as qu’un coup de barre à donner !… s’exclame le pêcheur, et tu ne veux point l’donner ! T’aimes mieux l’naufrage !

Doux comme il l’est toujours quand il n’a pas encore bu, le pauvre s’est mis à sangloter. La pâleur de Ludivine s’accentue.

— Mais pour qui qu’tu n’veux point ?… recommence la mère en larmes… Est eune chose que j’peux pas comprendre !

Ce ne fut qu’au bout de ces deux heures torturées qu’enfin l’adolescente, exténuée par cette lutte déchirante, consentit à livrer son secret. Ce fut les dents serrées et presque bas qu’elle avoua :

— J’veux pas de Lauderin parce qu’y m’plaît point d’abord, et ensuite parce que, celui que j’veux épouser, c’est Delphin, si vous voulez l’savoir !

Le cri des parents fut mêlé d’un rire de stupéfaction et de colère :

— Delphin ?…

— Comment ?… gronda le pêcheur en croisant les bras, tu vas nous faire crère que t’épouserais Delphin, un novice de dix-huit ans, qu’a seul’ment pas d’moustache sous l’nez ?…