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Ludivine, saccadée :

— Y vieuillira !

— Delphin ?… continua la mère, Delphin qu’a pas l’sou, Delphin qu’t’as ramassé à l’hospice ?…

— Justement !… riposta-t-elle.

Et les parents s’entre-regardaient, consternés, outrés, comprenant tout.

— Ah ! celui-là !… dit le pêcheur en hochant furieusement la tête, celui-là, c’est l’malheur qu’est entré avec li dans la maison !

— Est pas vrai !… bondit Ludivine.

Elle ne saura pas dire que Delphin a été la salvation de son âme perdue. Les secrets de sa conscience sont profondément enfouis en elle, avec bien d’autres obscurités.

Elle sait pourtant répliquer :

— Est c’pendant depuis qu’il est chez nous que j’sommes sortis d’bien des choses !…

Dangereux terrain ! Les parents le sentent confusément. Ils n’insistent pas. Ils pleurent tous les deux, suprême éloquence. Et voici les supplications qui recommencent, interminables, pour le martyre de cette enfant, écrasée sous le poids de toute sa famille en péril accrochée à elle.


✽ ✽

Le silence avait succédé, plus douloureux que les paroles. La femme Bucaille avait envoyé l’un des petits prévenir à l’hôtel qu’elle ne travaillerait pas aujourd’hui. Le pêcheur était resté là, ne songeant même pas, dans son désespoir, à courir ses cafés quotidiens. Assis dans la cuisine, la tête dans les mains, sa présence insolite et muette remplissait la maison de drame. Tandis que Ludivine s’activait nerveusement autour du fourneau, la mère, dans un coin, essayait de coudre, empêchée par les larmes qui ne cessaient de lui brouiller la vue. Les enfants, de nouveau, s’étaient esquivés.