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que n’ayant pas l’âge réglementaire, se désolait de n’aller pas tous les jours à la mer. Et la grande fête de première communion qu’on lui préparait le séduisait moins qu’une simple nuit de pêche dans la baie.

Instrument désaccordé, la famille perdait complètement son équilibre, n’avait plus aucun caractère.

Cependant, au chantier des barques, la Belle-Ludivine se construisait, parallèlement à l’avenir de sa marraine. C’était un but de promenade que d’aller la voir prendre forme. La plupart du temps, Lauderin y menait la jeune fille et son éternel petit Maurice dans la victoria de louage qui plaisait à sa vanité. Sur leur passage, les commères péroraient.

Ce petit Maurice, malgré les soins multipliés que permettait l’argent du fiancé magnifique, continuait à tousser et maigrir, pour le chagrin de sa famille.

— Je connais un grand spécialiste au Havre… dit un jour Lauderin, avec l’importance qui lui était coutumière. Il faudra l’y conduire.

Il essaya d’entraîner Ludivine.

— Nous irons tous les deux avec lui… Ce sera gentil, une petite balade au Havre !

Mais elle, brutale comme toujours :

— De qui qu’vous vous mêlez, vous ?… J’irai point au Havre ! Maman ne f… plus rien, elle est là pour mener Maurice où qu’y doit aller !

Le Havre… C’était, maintenant, le pays où vivait Delphin. À l’idée qu’elle le rencontrerait peut-être en s’y rendant, Ludivine sentait se tordre quelque chose dans son cœur.

— Y m’aime toujours… pensait-elle, sûre d’elle-même.

Mais ce n’était plus un plaisir pour elle. Abandonné par tous dès qu’il était devenu gênant, Delphin n’était-il pas une pauvre, une innocente victime à laquelle on ne pouvait songer sans remords ?