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pour toujours. Moi, je vais épouser celui que je n’aime pas, celui qui n’est pas de ma caste, je vais manquer ma vie. Lui, il va refaire la sienne, suivre sans moi son destin d’honnête garçon, enfant d’une race intègre, et rester à sa place dans l’existence, tandis que je ne serai jamais plus à la mienne, Ah ! ma proie, ma première proie, ma plus chère proie, l’ai-je donc laissé échapper si facilement, moi qui la tenais si bien ?… »

— V’là tes bottines !… dit la grêlée.

— Est bon !… répondit-elle. Mais est plus ma fantaisie d’étrenner mon costume aujourd’hui. J’le mettrai que d’main pour aller au Havre.

— Au Havre ?… fit la mère, étonnée.

— Oui… répondit Ludivine. Est moi qui conduirai Maurice demain matin chez son espécialiste. Mais est pas la peine de l’dire. Quand l’Pierrot demandera où que j’suis, tu y diras qu’tu n’en sais rien. Compris ?… J’ai queuque chose à acheter qu’on n’trouve pas ici, et j’ai pas besoin d’ce mâdit navet derrière mes jupons, pour passer l’iau.

Et la bornée Bucaille, qui n’avait même pas remarqué l’adresse de Delphin inscrite au haut de sa lettre, n’imagina pas un instant de relier cette lettre au projet subit de sa capricieuse fille.

Quelques instants plus tard, Ludivine, regardant tout autour d’elle pour vérifier les rues, entrait rapidement à la poste.

Elle n’avait jamais envoyé de télégramme et se fit expliquer comment faire.

Il lui fallut une demi-heure pour rédiger sa dépêche.

Elle se décida pour : « Attends-moi demain premier bateau, ai à te parler affaire pressée, » et s’en revint chez elle avec un sourire gai.

La petite viking ne pouvait pas laisser lui échapper un butin bien et dûment conquis. Elle savait de quel regard elle envelopperait