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Le petit Maurice parlait. Delphin répondait au hasard, concentré dans son ressentiment. Bercée tout contre lui, Ludivine, au trot doux du cheval, s’abandonnait avec délices. Le paysage sans charme se déroulait parmi la rumeur lente, à gauche, de la mer lumineuse et verdâtre. Étonnée de cette griserie et de cet alanguissement jamais soupçonnés encore, la petite amoureuse fermait les yeux.

Non ! non ! Elle ne pourrait plus souffrir que l’autre l’approchât seulement. Son existence, aujourd’hui, se déchirait. Elle appartenait au matelot Le Herpe, seul amour de sa vie. L’énergie farouche qui toujours avait été la sienne lui revenait, à travers les torpeurs de sa passion soudaine. Aujourd’hui même, c’en était fait. Elle allait renvoyer son petit frère tout seul sur le bateau, rester avec Delphin pour toujours.

— Écoute !… recommença-t-elle, brusquement redressée.

Une quinte de toux de l’enfant la coupa. La tête en avant, elle regarda ce petit, ce fragile condamné à mort. Pouvait-elle l’abandonner au milieu des ruines qu’elle allait susciter derrière elle, livrant les siens à la vengeance de Lauderin ?

Elle retomba sur les coussins de la voiture, impuissante. Elle s’était engagée à sauver sa famille. Il ne lui était plus possible de se libérer.

Un flot de pensées tournait dans sa tête.

L’horreur de son prochain mariage lui apparaissait, insoutenable vision, Ah ! quelle haine ! Quelle haine !… Mais aussi quel amour ! Quel amour !

Pour laisser aller sa tête sur l’épaule de Delphin, elle arracha rageusement son chapeau.

Un mari, oui ! Mais un amant en même temps… avant, même !

L’orphelin s’était tourné vers elle. Avec sa chevelure réapparue tout à coup, il la retrouvait tout entière. Cette tête câline tombée sur lui le bouleversait. Il n’avait jamais connu cette Ludivine-là.