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dans l’avenir. Un jour, il aurait quarante-cinq ans, lui aussi, sa moustache serait plus épaisse encore, ses yeux couleur d’océan seraient plus intenses, regard aggravé par la vie. Il n’avait pas actuellement dix-neuf ans. Une séduction à n’en plus finir continuerait à émaner de lui. Jamais elle ne se lasserait de l’aimer, de l’aimer désespérément, furieusement, de toute son âme rebelle, enfin subjuguée, obéissante.

— Où qu’on va ?… dit-il soudain en s’arrêtant et en lui lâchant le bras.

Et il ne savait pas comme son ton d’immense reproche ravissait l’adolescente.

Elle essaya de retrouver le sens des réalités.

— J’suis v’nue conduire Maurice chez son médecin. Il est toujours malade.

— Oui… interrompit-il sombrement. Ça se voit bien !

— Alors, continua-t-elle d’une voix mal assurée, j’ai pensé que j’pouvais pas me trouver au Havre sans te r’voir. Ta lettre…

Brusque, incompréhensible :

— Tiens !… Prenons une voiture ! Nous ferons un tour avant d’aller au médecin. Y nous élugent, tous ces bonnes gens qui nous poussent !

— Une voiture ?… bégaya-t-il.

Vite il referma la bouche. Évidemment, la petite Bucaille était habituée au grand luxe. Il songea qu’il avait pris de l’argent sur lui.

— Oh ! allons à Sainte-Adresse !… supplia le petit Maurice.

— C’est ça !… répondit-elle, bien aise d’avoir un ordre précis à donner au cocher.

Quand ils furent installés dans le fiacre découvert, l’enfant en face d’eux, elle eut un frisson en songeant à sa promenade de la veille avec son fiancé. Cet étranger ne lui avait jamais été qu’antipathique. Elle sentit brusquement qu’elle allait désormais le haïr avec toute la violence dont elle était capable.