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Sans oser le regarder, elle sentit se poser sur elle, étonné, son grand regard honnête. Elle savait bien qu’il ne pouvait pas comprendre ce qu’elle disait, et qu’il lui faudrait lentement le corrompre, comme si elle eût été le garçon, elle, et lui la fille, Sans la présence du petit frère, certes, Sainte-Adresse ne les eût pas vus, ce matin, mais la pauvre chambre du matelot, sur le quai du Havre.

— Je r’viendrai t’voir… murmura-t-elle, et je serai seule… Ça n’pourra pas être tout de suite, mais ça s’ra avant la noce. Tu m’connais assez pour savoir que j’peux les rouler tous !

Ses yeux couleur de vide étincelèrent, provoquant le destin, appelant le risque et la tempête. Un rire de bravoure et de défi la secouait. Le garçon, effrayé, l’écoutait en baissant le front de honte.

Comme d’une vague, elle le couvrit d’un regard de passion effrénée.

— J’t’aime !… dit-elle, les mâchoires serrées.

Et, pris dans le rythme de ce déchaînement, emporté par elle vers un amour qui n’avait déjà plus rien des candeurs de la veille :

— Moi aussi, j’t’aime !… répliqua-t-il sur le même ton, en la parcourant toute avec des yeux possesseurs de mâle.

Le petit Maurice revenait vers eux, sautant d’un pied sur l’autre.

— J’ai peur qu’on n’manque le bateau !… fit sa voix claire.

— Hélâ !… se récria Ludivine, une main sur la bouche. Et l’médecin que j’avons pas vu !

— Tant mieux !… répondit le gamin, tout joyeux. Y m’fait peû, avec ses yeux d’cahouette !

Le retour au Havre fut rapide et bousculé. Ludivine n’eut que le temps de se précipiter dans un magasin pour s’y munir d’un alibi. Elle n’osa pas montrer à Delphin le porte-cigarettes acheté au hasard, cadeau qu’elle ferait, canaille et moqueuse, à son fiancé. Mieux valait ne plus dire un seul mot à son sujet.