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Savait-elle ce qu’étaient devenues, loin d’elle, les pensées de l’orphelin ? Qui disait qu’elle n’était pas maintenant méprisée par lui, considérée comme une simple petite coureuse qui va d’un homme à l’autre et qui berne les deux par simple amusement pervers ?

Elle sentait qu’elle avait, en lui, détruit tout un long respect ; elle se défiait des songes qui avaient pu suivre sa venue et son incompréhensible emportement. N’étant plus près de lui pour le fasciner, démunie du pouvoir autoritaire que confère la présence réelle, qui sait si, désormais, elle ne le dégoûtait pas en rêve, elle, qui, les yeux dans ses yeux, faisait de lui tout ce qu’elle voulait ?

Lauderin remarquait que, depuis ce voyage au Havre, elle s’était singulièrement assombrie, restant des heures entières, elle si vivante, sans desserrer les dents. Il ne la reconnaissait plus. Elle notait, de son côté, la mauvaise humeur croissante du fiancé,

— Qu’est-ce que vous avez, petite chérie ?… demanda-t-il enfin, un jour que, chez elle, elle lui servait quelque café, tandis que le petit Maurice, assis sur une chaise, toussait, entre eux deux, à perdre l’âme.

Oh ! comme elle eut envie de répondre : « Ce que j’ai ?… C’est que je vous déteste et que j’aime l’autre, et que c’est vous qui êtes là près de moi, pendant que l’autre est au bout de la mer, sur la côte d’en face, sans que je puisse savoir de quelle façon il pense à moi ! »

Elle regarda son petit frère épuisé, couvert de sueur. Une fois encore elle trouva, dans ce malheureux spectacle, toutes les raisons de continuer à jouer sa tragique comédie.

— J’vais vous dire… trouva-t-elle spontanément, en s’appuyant debout devant lui, contre la table de bois blanc, j’vais vous dire ! V’là l’mariage qui s’approche, et j’pense qu’y faut que j’devienne sérieuse un peu, maintenant que j’vais être votre femme.