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Épouvanté, le fiancé ne se le fit pas dire deux fois. Mais en retournant au bateau, le lendemain, Ludivine découvrit, en embuscade, l’un des garçons du Grand Café Maritime, installé là, de toute évidence, pour la surveiller.

Elle eut le temps de s’esquiver sans être vue. Elle avait compris, Lauderin la ferait filer tous les jours, soupçonnant vaguement ses intentions.

Une crise de rage et de désespoir la secouait en rentrant. Du reste elle trouva, l’attendant, une nouvelle lettre qu’elle se mit à déchirer et piétiner sans même l’ouvrir, et un nouveau cadeau qu’elle jeta sans hésiter à la figure de sa mère, accourue pour voir la surprise.

Pendant le reste des huit jours, ce fut l’enfer. Où donc était-il le temps où Ludivine malmenait le petit Le Herpe, innocente victime ? Que n’avait-elle à temps su voir qu’il allait devenir le portrait même de son père, seul amour possible de sa vie rebellée ? Il avait fallu que la moustache vint pour qu’elle le retrouvât, sur ces traits qui n’avaient pourtant pas changé, ce visage hallucinant gravé pour jamais dans sa mémoire.

— Delphin !… Delphin !… pensait-elle tout en criaillant contre les siens.

Et de penser qu’il était si près et qu’elle ne pouvait pas aller le rejoindre la scandalisait jusqu’au fond de son être. Rien de bon ne lui était jamais venu, ne pourrait jamais lui venir que de Delphin. Que redevenait-elle, sans lui ? Sa famille ne le savait que trop !

Durant ses longues insomnies, la nuit, elle cherchait jusqu’au fond des abimes de ruse contenus en elle, sans arriver à rien découvrir de possible. Même en se faisant accompagner au Havre par sa mère (qu’il était facile, ensuite, de perdre dans les rues assourdissantes), elle risquait d’être vendue par les mouchards