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Ce fut, là-dessus, un assourdissement. On eût dit que les trois Lauderin venaient de se donner le mot.

Les affaires florissantes du magasin des Ternes, les boulevards, les cinémas, les music-halls, la politique, les modes nouvelles, tout y passa. Ils parlaient entre eux, avertis, mondains, ostentatoires, en ayant l’air d’ignorer soudain, au milieu d’eux, la présence de la petite Bucaille, cette inférieure. Et cependant ce n’était que pour elle qu’ils parlaient.

Les yeux fixes, elle leur abandonnait la conversation, leur donnant à penser qu’ils l’éblouissaient. Cela dura jusqu’au dessert, Alors, satisfait, plein d’indulgence pour la pauvrette :

— À quoi pense la petite chérie ?… demanda le fiancé. On est là à bavarder de choses qu’elle ne connaît pas… Qu’est-ce que vous voulez ! Les vieux Parisiens sont incorrigibles, et…

— Oh ! ça n’me nuit point ! interrompit-elle. J’entends pas !… Je suis m’n’idée pendant c’temps-là, et j’ai pas besoin d’personne à mon bord.

— Et peut-on savoir quelle est votre idée ?… fit la belle-sœur, un peu pincée.

— J’pensais, dit sans sourciller Ludivine, que j’aimerais bien aller pêquer des moules au Ratier, ces jours. Nous v’là dans la grande lune et ça va découvrir en plein.

Elle rêva quelques secondes, puis poursuivit, exagérant tout, à dessein d’humilier ces trois dans l’irritante vanité qu’ils venaient, pour la rabaisser, d’étaler devant elle :

— J’y allais, y a pas si longtemps, cueillir la moule !… raconta-t-elle. J’gagnais douze francs d’la journée. Est un métier, cha ! Faut débarquer dans l’eau et la vase, qu’on en a les gambes embourbées jusqu’à une hauteur démesurée !

— Quelle horreur !… cria la belle-sœur.

Et, tout à coup, Ludivine se mordit les lèvres, avec un furieux battement de cœur. Une idée venait de la traverser, lumineuse :