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éveiller les soupçons. Vertigineusement elle pensa : « Après tout je ne dois être au Ratier que tard, j’aurai le temps de déjeuner avec eux… À Dieu vat !… »

— Est bon !… grogna-t-elle, subitement radoucie. J’vas m’décrasser et m’habiller. Mais, tout ça, véritablement, est des plaisirs précipités !

Ruminant ses angoisses secrètes, elle essaya de faire bonne figure quand Mme Jules Lauderin vint elle-même la chercher jusque dans la cuisine. Deux vis-à-vis attendaient à la porte. Au milieu d’un attroupement de gamins moqueurs, les neuf convives de ce déjeuner malencontreux s’enfournèrent, parmi des bavardages et des petits cris.

Ludivine rageait d’être en toilette. Elle avait, la veille, préparé ses nippes anciennes avec tant de cœur !

— Tant pis pour leus beaux affiquets ! Ces bottines-là emmoleront dans la vase aussi bien comme mes galoches ! Et si mon jupon et ma taille de Paris sont en perdition en r’venant du Ratier, eh ben ! y n’auront qu’à m’payer du neû !

Pendant tout le temps que dura la montée de la côte, Lauderin fit de son mieux pour effacer la mauvaise humeur de sa fiancée.

— C’est une bonne idée que j’ai eue, n’est-ce pas, petite chérie ?… Le déjeuner est commandé depuis la première heure. Nous allons passer un beau dimanche tous ensemble !…

Il avait l’air d’oublier totalement les projets personnels énoncés la veille par Ludivine. Elle était jouée. Hésitante, elle se demanda si elle allait déclarer tout de suite qu’elle ne renonçait pas du tout à sa promenade. Mais, se mordant la langue, elle se tut. Le hasard, peut-être, lui fournirait à temps l’occasion voulue.

Une chaleur orageuse faisait ruisseler les visages. Sitôt descendus des deux voitures, ils s’attablèrent tous autour de boissons et d’apéritifs. Et, quand on vint leur annoncer que leur table était mise, un commencement de griserie surexcitait déjà les enfants,