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provoquait les gros rires de Jules Lauderin, congestionnait la mère Bucaille, attendrissait le fiancé, rendait la belle-sœur rêveuse et Ludivine sombre. Seul, le pêcheur, sursaturé depuis des années, restait tout à fait normal.

En s’asseyant sous la tonnelle qu’on leur avait réservée, et d’où l’on pouvait voir tout l’estuaire, ils exprimèrent leur satisfaction chacun à sa manière. Puis le silence régna. La gêne des deux humble Bucaille, l’embarras des petits devant les hors-d’œuvre amusaient méchamment la belle-sœur, assez vexée de cette réunion, sans compter la réprobation croissante qui remplissait son cœur, et qu’elle tâchait de dissimuler, ne voulant pas se brouiller avec le riche frère de son mari. Ce mariage lui paraissait de plus en plus ridicule. Mais la veille encore, au cours de la grande scène à la suite de laquelle elle avait été forcée d’écrire sa lettre d’excuses, elle s’était, plus que jamais, rendu compte qu’il n’y avait rien à faire pour empêcher une aussi choquante mésalliance. Lauderin était pris. Rien ne le sauverait plus des griffes de la terrible petite Bucaille.

Elle connaissait les projets cachés de son beau-frère.

« Une fois mariée, se disait-elle, quand le café d’ici sera vendu, Pierrot établi à Paris, on pourra peut-être éduquer cette gueuse. En tout cas, on se débarrassera toujours de son inavouable famille. Et, la folie passée, le divorce est là pour quelque chose. »

En face d’elle, Ludivine :

« Il n’est qu’midi ! J’allons bien voir comment qu’le vent va s’placer d’ici ce soir. Mais, d’une manière comme de l’autre, j’embarque à mon heure, moi ! Sûr et certain qu’mon Delphin n’aura pas à m’espérer, quand y s’mettraient tous contre moi ! »

Et les deux, tout haut :

— Décidément, petite Ludivine, ce costume-là vous va à ravir ! N’est-ce pas, Pierrot ?

— Vous avez bien d’la bonté, mâme Jules ! Et j’oublie point qu’ma robe sort de vot’magasin, vous savez bien !