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Là-haut, aux Bruyères, les jumelles avaient suivi la promenade, puis le drame. Ayant compris les leurs perdus, les convives du déjeuner, si gais un moment auparavant, étaient revenus, entassés dans leur voiture, vers la côte de Grâce. Le père Bucaille avait continué jusqu’au port, hurlant qu’il allait sauver sa fille, bien que sachant mieux qu’aucun autre qu’il n’y avait pas le temps matériel ni la possibilité d’aborder le Ratier pendant la montée de la mer.

Une foule noire, sous la pluie et dans le vent furieux, s’était amassée devant la chapelle, autour de la mère Bucaille, des deux petits frères, de Jules Lauderin et de sa femme, tous poussant des cris, sanglotant, se frappant la tête contre les arbres. Et, spontanée, la procession s’était organisée, interrompant le Salut commencé. Accompagnée par tous les fidèles livides d’émotion, solennelle et rapide dans la rafale, les vieilles bannières suivant en claquant la croix, les enfants de chœur bleus et blancs portant les cierges éteints, le prêtre marchant en tête, elle s’était arrêtée au pied du Calvaire, devant l’immensité noire de colère. Et, puisque les secours humains étaient impossibles, le prêtre, par delà le ciel et la mer, tourné dans la direction du Ratier, envoyait, à ceux qui mouraient au large, l’absolution de leurs péchés.


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Il ne leur restait plus que peu de temps à vivre. Le banc se couvrait rapidement.

Ludivine, allongée dans une flaque, trempée, enfouie dans ses cheveux défaits, attendait, presque morte déjà. Les deux marins cherchaient encore de quel côté se jeter à la nage. Lauderin, debout, les mâchoires distendues, enroué, criait de toutes ses forces, comme s’il eût voulu dominer le bruit géant de l’orage. Quand il sentit qu’il ne pouvait plus, il se laissa tomber dans la vase et