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Elle avait presque la bouche sur sa bouche. Elle lui enfonça tous ses ongles dans la chair du cou :

— Tant mieux !… Tant mieux !… J’te détestais, cochon… J’étais pas à toi !… J’étais d’puis longtemps la femme à Delphin, à Delphin, t’entends, à Delphin !…

Elle criait ce nom et ce mensonge, pour finir, jetant à la fois son amour et sa haine aux éléments déchaînés, prêts à l’engloutir. Et, certes, c’était bien là la mort de la petite Bucaille.

Elle lâcha le cou qui saignait. Lauderin tomba, se releva, suivit les autres qui reculaient encore devant la marée. Se poussant et bousculant, ils montèrent jusqu’au sommet du dos d’âne. De tous côtés la mer énorme venait en rond vers eux, comme une bête violente aux mille tentacules agités. Les nuages semblaient déferler aussi passionnément que les vagues. Le bruit formidable de tout l’estuaire en folie augmentait encore.

Malgré eux, tous, avec de brusques gestes, ils consultaient les quatre horizons. Car la pauvre chair mortelle, en face de la dernière heure, a soudain l’horreur de la mort, encore qu’en ayant admis jusque-là l’idée. Et chacun d’eux, en cette minute, isolé par le féroce égoïsme de l’épouvante, était absolument seul avec son destin.

Le père La Limande, tout à coup, se jeta sur les genoux. On vit sa main tremblante esquisser un signe de croix. La tête enfouie dans ses deux bras repliés, il se mit à prier.

— Il a raison !… articulaient dans le vacarme les lèvres violettes de Lauderin.

Le sentiment utilitaire de l’union humaine lui revenait. Jeté sur Ludivine et sur le matelot, il les malmenait pour les mettre à genoux.

Et pendant qu’ils étaient tous les quatre serrés les uns contre les autres, ils ne savaient pas qu’abandonnés sur le rocher de leur mort ils recevaient, à travers l’espace, par-dessus la tempête, la bénédiction suprême de l’Église.