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Un aller et retour qu’y t’a donné ! Y en a d’autres que nous pour le dire, que t’as reçu deux bons pétards !

— Dis si c’est vrai !… glapit Bucaille en se levant. Parce que, si l’mauvais Le Herpe a battu ma fille, moi je lui ferai s’n’affaire, et pas plus tard que demain !

Il titubait ; mais son ivresse avait quelque chose de dangereux qui sentait le mauvais coup, presque le crime.

— Est pas vrai !… rugit pour la seconde fois Ludivine.

Et sa propre véhémence la surprit, car il y avait, cette fois, autre chose que de l’orgueil dans son mensonge. Quoi ? Quelle épouvante spontanée ?

N’était-elle pas bien aise d’avoir un père pour la venger de celui qui l’avait souffletée ?

Une seconde colère la prit d’avoir eu ce mouvement inexplicable. Il lui sembla que la place des claques la brûlait de nouveau.

— Le Herpe était saoul ! dit-elle méchamment. Ce n’est qu’une vieille gadoue comme les autres. Mais pour dire qu’il m’a battue, ça, non !

— Est plus fort, cha !… hurlèrent les galopins. On l’fera raconter demain par tous les gas !

Et le tapage qui s’ensuivit, les « oh ! » et les « ah ! » suraigus, les « héla ! » chantés sur tous les tons, se terminèrent par une volée de taloches, données aux garçons par la mère assourdie.

Un quart d’heure plus tard, enfoncée dans les paillasses, toute la famille, distribuée dans les trois pièces du logis, dormait ; sauf Ludivine, pourtant.

Elle se tournait sur le côté droit. Le drap crasseux suivait ses mouvements, se collait à elle, alourdi par la couverture d’écurie sous laquelle elle grelottait de fièvre.

Sa tête en proie aux inventions cherchait, en même temps, une place où reposer. Non. — Il valait mieux le côté gauche.