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révant d’égalité sous des patrons dominateurs comme les hauts barons de jadis. Ne parlons pas de la classe moyenne, honnête, rechignée et monotone comme partout, fonds commun de la France et même de l’Europe. Laissons de côté les originaux du cru, étranges marchandes de poisson, curieux mendiants, et le reste. Tant de groupements contradictoires amassés dans si peu de place forment une population qui ne peut pas ne pas ressembler au paysage nombreux qui l’enferme, qui ne peut pas ne pas être ce qu’elle est : à la fois arriérée et curieuse de tout, nonchalante et nerveuse, spirituelle et butée, impertinente et maniaque, frondeuse et traditionaliste.

Comme Ludivine s’engageait, en même temps qu’un grand coup de vent, dans la rue qui quitte la place Sainte-Catherine pour aller vers la côte de Grâce, elle rencontra la moitié de sa horde, en quête d’aventures.

Garçons et filles, sans avoir l’air de se souvenir des événements de la veille, l’interrogèrent joyeusement :

— Où qu’on va, c’matin ?

Elle répondit, comme si elle n’avait pensé qu’à cela depuis son lever :

— À la Croix-Rouge, chercher des marrons.

Ils bifurquèrent donc pour trouver l’autre côte, plus raide et plus courte, qui va tout droit au grand plateau champêtre, pleine campagne où deux rangs de marronniers d’Inde sont, pour les enfants surexcités de Honfleur, un but de conquête. Là, les pierres et les bâtons attaquent les riches branches, pour en faire tomber ces marrons vernissés qui ressemblent à des joujoux tout neufs.

Au milieu de la côte qu’on appelle, dans le langage local, la charrière, le reste de la bande rejoignit, dont les deux frères de Ludivine.