Ceux-là non plus n’avaient pas l’air de se souvenir. Au fond, tous avaient peur de leur grande camarade et subissaient en même temps le charme de son autorité.
Des branches cassées par les rafales nocturnes jonchaient la route mouillée. Les arbres jaunes s’égouttaient. Les enfants allaient selon le rythme de leur âge, qui ressemble à celui des jeunes chiens, c’est-à-dire qu’ils faisaient trois fois le chemin. Sauter à cloche-pied, monter et redescendre le talus, courir en avant puis revenir sur ses pas, C’est là l’unique façon agréable de se promener, quand on n’est pas encore adulte.
Des petites disputes, des petits rires, des petits jeux agrémentaient la route. Et, à mesure que le groupe sautillant avançait dans la côte, la ville, en bas, se découvrait violette et bleue dans son creux, entre ses deux collines, au bord de son estuaire changeant, ville roulée dans la saumure, et qui sent le saur comme l’intérieur d’une caque.
Simple et foncé, le clocher de Sainte-Catherine, clair et compliqué celui de Saint-Léonard… Mais ce n’était pas ce que les enfants regardaient.
Il est rare que l’enfance soit préoccupée par les grands horizons. Sa petite taille la rapproche des détails de la terre, qui la retiennent et l’absorbent sans qu’elle songe à lever les yeux. Une feuille qui bouge, une ombelle qui se dresse, une noisette qui s’offre, voilà qui fait état pour elle et captive son attention.
— Venez-vous-en avec moi dans la fourrée ! criait un petit grimpé plus haut que les autres. J’entends un oiseau qui pipe dans l’parage où que j’suis ! On va l’affûter !
— Oui… répondaient les voix chantantes. C’est un rouge-gorge, ou bien une ’tite poule du bon Dieu !
Et un peu plus loin :
— Hélà !… On va être piqué par les mouches à miel !… Y en a toute une société dans l’creux d’l’arbre !…