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— Bon, j’vas le surveiller !

« Elle est comme moi, disait Bucaille en revenant de la pêche, quand sa femme lui racontait. Le naufrage des deux Le Herpe, ça lui a donné un coup ! Elle en desserre pas les dents ! »

Il avait repris son matelot, rentrait régulièrement au logis ; et son caractère naturellement doux réapparaissait, dissipées les fumées de l’alcool ; car, présentement, il ne buvait presque pas. Les deux garçons, privés de leur sœur, allaient à l’école, et peut-être le petit Maurice avait-il peur, aussi, d’être embarqué par son père, s’il continuait à vagabonder. De sorte que la pauvre grêlée n’avait jamais été plus heureuse que depuis que le malheur était entré dans la maison voisine.

On continuait à ne pas retrouver les corps des deux noyés.

Les nouvelles circulaient dans le monde marin. La Marie-Joseph, naturellement, n’était pas assurée, imprévoyance presque générale parmi les pêcheurs. La veuve Le Herpe avait donc non seulement perdu son mari et son fils, mais encore le gagne-pain de la famille.

— La v’là plus pauvre que nous !… disait la mère Bucaille, sans trop oser insister sur le revirement.

— Avec un gosse de quinze ans pour y gagner sa vie !… reprenait Bucaille, et qui n’a jamais navigué comme mousse qu’avec son père et son frère.

— Sans compter qu’elle attend un éfant dans deux mois !… reprenait sa femme.

Ludivine écoutait ces propos sans y jamais mettre son mot, tout en faisant les besognes demandées par sa mère. Ses rêveries intimes n’avaient pas changé. Elles la réveillaient la nuit en sursaut.

Cependant, une après-midi, courant à la porte pour l’appeler, la grêlée ne la vit pas dans la rue. Elle la cherche, ne la trouve point.

— Bon ! pensa-t-elle, la voilà qui recommence à couri !

Et son cœur se serra.