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Cela l’avait prise tout à coup comme une inspiration.

— Si j’allais voir du côté des « travaux » ?

Pas lent, regard avide, cherchant, cherchant, elle parcourait l’étrange paysage.

C’est une langue de terre qui s’allonge dans l’embouchure, et que les marins nomment, on ne sait pourquoi : Nouméa. Ludivine, entre le bassin de chasse et la mer basse, s’attardait.

Une rangée de magnifiques arbres ombrage des sortes de jardins sans maisons, un sentier sec poudroie entre des prés incultes et pleins de hautes fleurs. Voici des filets démesurés qui sèchent, arachnéens, couleur de mer, et qui, fragiles comme des voilettes, servent à pêcher les carrelets. Voici, dans un herbage saumâtre, une profusion de géantes ancres anciennes, extraordinaire bétail.

Apparue entre les arbres, au loin, la ville usée, vieillotte, accumule ses silhouettes inégales entre ses deux collines, toute palpitante des voiles qui remplissent ses bassins, toute vaporisée par sa brume bleue et ses fumées grises.

De l’autre côté, c’est l’estuaire immense, des lieues d’eau, le Havre et sa côte pâle couchée sur la ligne d’horizon. En aval, les chantiers de construction des barques, les jetées, le sémaphore ; en amont, à des distances infinies, la pointe de la Roque, profil rebroussé.

Par mer haute, la langue de terre est une presqu’île. Les vagues battent ses bords maçonnés. Le bassin de chasse, à demi rempli, reluit, sinistre marécage.

Ce bassin, qui est l’un des désespoirs de la ville, car il a coûté des millions et ne sert à rien, fut destiné à combattre la vase envahissante. Mais, à marée basse, on voit, accumulée là-dedans, cette vase tenace, sur laquelle, ironiquement, la nature normande essaie de refaire des herbages.