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future noceuse, future voleuse, peut-être, et, si le veut un jour ma violence native (aidée du genièvre qui m’attend), future criminelle.

Je suis la graine de tout cela. Pourquoi donc, alors, suis-je en même temps si fière, si crâne, cabrée d’avance contre tout ce qui pourrait attenter à ma liberté d’allures et de pensée ? Pourquoi suis-je parfois capable de sentir, tout au fond de mon mauvais cœur, la malchance d’un petit Delphin ? Pourquoi puis-je subir le charme d’un regard couleur d’océan posé sur moi pour deux secondes, avoir envie de la bonne tenue, de l’honorabilité des autres, devinées derrière une vitre ? Pourquoi, pourquoi puis-je être écrasée par l’inexistante responsabilité d’une mort qui suivit de si près mon souhait de mort ?

Encore une fois rebutée dans ce qui restait de bon au fond de sa perdition, chassée de ce cimetière où elle apportait on ne sait quelle humble et vague prière, elle avait retrouvé son ricanement, sa rage de mal faire. Toutes griffes dehors, la petite bête sauvage se redressait. En trouvant, au retour, son père ivre, sa mère criarde, tout le désordre habituel un moment endormi, en retrouvant cela son cœur s’était gonflé d’une affreuse satisfaction.

Maintenant, la vie allait reprendre, comme si rien ne se fût passé. Demain, au jour, elle retrouverait ses compagnons de maraude et courrait avec eux la ville, la grève et la campagne, en quête de nouveaux méfaits.

Cette nouvelle ruée de l’instinct ne tarda pas à manifester ses effets. Deux jours plus tard, croisant, au soir, sur le quai Saint-Étienne, le petit Delphin qui se rendait courageusement au cours des marins de la Basse-Seine, Ludivine, sans avoir l’air de se souvenir de rien, passa près de lui sans le saluer, affectant de rire pour accentuer son inconvenance.